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Murena: sa genèse par André Dewael
Pour évoquer la Murena, il faut se replonger dans l'histoire du modèle qu'il remplace, à savoir la Matra-Simca Bagheera. Cette voiture révolutionnaire et imaginative (trois places de front, moteur central transversal, carrosserie en polyester, vaste vitre arrière à levage automatique, phares escamotables par commande à dépression) a connu un beau succès dès sa sortie en 1973. Présentée au public en lever de rideau des 24 heures du Mans 1973 (que la Matra-Simca 670 B-02 allait remporter), la Bagheera allait séduire par ses lignes, sa redistribution de l'espace intérieur avec trois sièges de front d'un moelleux et d'un toucher innovant pour une sportive, ses performances étonnantes par rapport à sa cylindrée de 1.294 cm3 (185 km/h en pointe) et sa consommation très raisonnable, fruit d'un poids de 885 Kg et d'un CX record pour l'époque de 0,33. Elle sera surnommée la « petite Miura », belle référence à la Lamborghini ! Les chiffres de production vont se stabiliser rapidement puis décroître irréversiblement car la clientèle attendait une cylindrée supérieure (un moteur 2 litres) et une boite de vitesses à 5 rapports (organes indisponibles chez Simca).
Le projet M 551 consistait à gommer les lacunes de la Bagheera :
1) protection anticorrosion du châssis par le procédé révolutionnaire de galvanisation à chaud inauguré à l'usine Matra de
Romorantin sur la dernière centaine de châssis Bagheera et sur les éléments de tôlerie disponibles en réparation pour la Bagheera,
2) une motorisation de 2 litres,
3) une boîte de vitesses à cinq rapports,
4) des performances mieux en rapport avec sa ligne sportive.
Murena: Les difficultés techniques rencontrées par André Dewael
Matra-Simca était devenu Talbot-Matra en 1979. Les dernières Bagheera étaient donc des Talbot-Matra. Le partenaire technico-commercial de Matra Automobile était devenu le groupe P.S.A. Matra pouvait puiser dans la banque d'organes mécaniques du groupe représentant les marques Peugeot, Citroën et Talbot. Le service marketing souhaitait maintenir un modèle de base à mécanique Talbot (en fait, il s'agissait de l'ultime évolution des moteurs Simca conçus par Georges Martin, auteur du V12 Matra) d'une cylindrée de 1.592 cm 3 et qui équipait le haut de gamme des Horizon, 1510 et Solara.
Pour une mécanique de 2 litres de cylindrée, Matra pensait pouvoir disposer du moteur 2 litres P.S.A.-Renault construit par la société Française de Mécanique. Ce moteur, placé en position transversale et accouplé à une boîte ME à 5 vitesses, équipait la Citroën CX 2000 (Athena). Par soucis de simplification, il suffisait d'implanter cet ensemble moteur-boite dans la Murena. Matra s'est donc mis à la tâche jusqu'au moment où Renault a mis son veto quant à l'utilisation de ce moteur dans une voiture sportive qui allait concurrencer sa Fuego équipée de la même mécanique. La Murena 1.600 était prête à être commercialisée en septembre 1980. Le public attendait une « Bagheera 2 litres » et Matra devait revoir tous ses plans de motorisation. La seule solution résidait en l'adoption et en l'adaptation du moteur d'origine Chrysler 2 litres dont la cylindrée venait d'être portée à 2.156 cm3 pour équiper la «grosse» Talbot Tagora. On s'est arraché les cheveux chez Matra car le délai était très court et il fallait concevoir l'implantation transversale de ce «volumineux» moteur dans le châssis Murena prévu pour le «petit» 1. 600. Matra a dû étudier un carter d'embrayage le plus court possible pour monter la boite ME de la Citroën CX ; à l'autre extrémité du moteur, il a fallu remplacer la pompe à eau de la Tagora par une pompe à eau spécifique, plus étroite, pour que le moteur entre au «chausse-pieds». Un carter d'huile spécifique avec refroidissement à ailettes pour implantation transversale a dû être étudié. Il a fallu également modifier la culasse de la Tagora pour adapter un support moteur supérieur central et remplacer le carburateur Weber de la Tagora par un Solex 34 CIC-141. Le châssis lui-même a été modifié dans sa partie arrière : à partir de la caisse n° 2246, le châssis 1600 est adapté pour recevoir les deux mécaniques. Seule la tôlerie de séparation du compartiment moteur et du coffre à bagages sera différente (bossage réduisant très légèrement le volume du coffre dans
la 2.2).
Murena: Sa commercialisation par André Dewael
Le lancement.
Evocant le film à succès "Les dents de la mer", la campagne publicitaire présente la Murena comme "Les dents de la route". Avec le recul, on peut juger que ce ne fut pas très heureux…
La Murena 1.6 (nom de code M 551) est sortie en France en septembre 1980, ce qui correspondait au millésime 1981. Les premières immatriculations à l'exportation datent de janvier 1981.
Les articles de presse ont salué ses qualités mais ont conclu généralement à une sous-motorisation par rapport à la concurrence : VW proposait une Golf GTI 1600 très légère avec moteur à injection de 110 CV. Ici déjà apparaît l'une des
raisons de l'insuccès commercial de la Murena.
La Murena 2.2 (nom de code M 552) n'était pas disponible immédiatement. Il a fallu attendre des mois pour qu'elle apparaisse au catalogue courant 1981. Toute la campagne de publicité liée à la nouveauté «Murena» devait être renouvelée pour insister sur l'apparition de la nouvelle motorisation de 2.2 litres d'une puissance de 118 CV. Dans sa campagne publicitaire pour la 2.2, Matra reçut le concours de Jean-Pierre Beltoise qui « présentait » la 2.2. Matra a toujours été particulièrement honnête vis-à-vis de la presse, laissant même le soin aux journalistes d'essayer les Murena 2.2 de pré-série équipées des bras de suspension arrière prévus pour la 1.6. Les journalistes ont immédiatement mis le doigt sur le manque de rigidité de ces bras en appui lors d'une conduite très sportive. Matra a reconnu immédiatement la véracité de ces critiques et a étudié des bras de suspension arrière renforcés, d'une conception nettement plus rigide.
Le réseau commercial
Au départ, la Murena était commercialisée par le réseau Talbot. A l'époque de la Bagheera, les garagistes Simca s'enfuyaient parfois lorsqu'ils devaient intervenir sur un véhicule, vu les difficultés d'accès à la mécanique et ils n'étaient pas spécialement enclins à vendre un véhicule aussi sophistiqué que la Matra. Vendre et entretenir des Simca 1000, 1100, 1307-1308, Horizon, 1510 et Solara était facile et rentable. Des Matra, c'était un autre monde !
Le nom de Talbot était tombé dans le patrimoine du groupe P.S.A. après le rachat de Chrysler Europe. Dans un premier temps, les réseaux Talbot et Peugeot étaient indépendants. Puis il y eut fusion. La plupart des concessionnaires et agents Peugeot-Talbot étaient d'anciens Peugeot. Rares étaient ceux issus du réseau Simca-Chrysler.
La Murena se retrouvait au catalogue de Peugeot-Talbot mais le réseau n'avait aucune envie de vendre un véhicule très différent de la philosophie des 305 et 505, à l'époque les chevaux de bataille de Peugeot. Après avoir englouti Chrysler Europe, P.S.A. comptait trois marques : Peugeot, Citroën et Talbot. Ancienne marque de prestige française et anglaise ressucitée miraculeusement à coup de pub par Peugeot, Talbot allait disparaître très tôt malgré la victoire en championnat du monde des rallyes de la Talbot-Sunbeam Lotus. Ce fut un échec monumental de la part de Peugeot. A tel point que sa survie était conditionnée par celle qui allait être un «sacré numéro» : la 205. En fait, la 205 a permis la survie de Peugeot et l'a redynamisé. Le programme de développement de la 205 en championnat du monde des rallyes a mis fin aux espoirs de l'équipe Politecnic qui avait développé une Murena groupe 4.
Tout cela explique les faibles ventes de la Murena. Il fallait en avoir vraiment envie pour l'acheter et demander un essai constituait une épreuve quasi insurmontable. De nombreuses anecdotes ont émaillé les relations entre les acheteurs potentiels et les vendeurs. C'est à croire qu'il fallait tuer la Murena !
L'avis de son concepteur (avec le recul) :
"La Murena est un développement de la Bagheera avec toujours trois sièges côte à côte, mais plus puissante. Nous avons découvert, avec cette auto, qu'il ne fallait pas faire des voitures dont on a envie, mais des voitures dont les gens ont
besoin." (Philippe Guédon, interviewé par Jean-Pierre JAGU-ROCHE dans Auto-Moto)